Promenade en forêt
Je marche dans la forêt. C’est une très belle forêt de montagne avec de très grands pins noirs. Il fait bon. Une brise me soulève les cheveux, en apportant l’odeur forestière à mes narines. Un oiseau chante. Je m’arrête quelques instants pour l’observer. Je reconnais un pipit des arbres. Le chant s’interrompt, l’oiseau s’envole. Je continue ma route. Ici, la vie est harmonieuse. Je ralentis de temps à autres pour ramasser des champignons : on trouve des bolets en abondance dans ce coin de la forêt.
J’évite une gentiane acaule, espèce de fleur protégée. Un petit animal détale à mon passage, et un sourire s’étale sur mon visage. Oui, je me sens bien. Rien ne peut bouleverser un moment pareil !
Et pourtant…
Je cesse tout net de marcher. Là, sur ce sapin. Des marques de griffes. De griffes d’ours! Je respire un bon coup. Voyons, il doit être loin… Je reprends mon chemin, plus alerte. Une ride d’inquiétude me barrant toutefois le front. J’espère que je serai au refuge avant la nuit! Je me hâte. Idiotie. Je suis obligée de faire une pause pour respirer, et boire une gorgée. Je me remets en route. Mais au détour du chemin, une empreinte d’ours. Toute fraîche. A peine une demi-heure. D’après l’empreinte, le plantigrade doit être d’une taille monstrueuse! Le cœur battant, je marche. J’ai le pas sec et serré. Des gouttes de sueur me dégoulinent le long des tempes. J’ai une phobie inavouable des ours. Et j’ai appris à les reconnaître, ces bêtes là! « Connais ton ennemi »…
Il pleut. Je rabats ma capuche, et resserre fiévreusement mon anorak autour de moi. Je frissonne.
Un pas de plus, et je sursaute. La rivière! Je viens de marcher dans la rivière! Ma chaussure droite est détrempée jusqu’au pied. Je dois traverser, mais avec cette éponge qui me sert de chaussure, je vais sûrement glisser. J’ai les mains moites. Je m’agrippe à la roche en tâtonnant pour trouver les aspérités qui m’assureraient une prise sûre. Je prends ensuite appui avec mon pied sur une avancée rocheuse et m’élance afin d’atteindre la rive opposée. Mais je dérape, et m‘affaisse dans l’eau courante en poussant un cri de surprise et de nervosité. Je m’écorche sur les éclats de pierres qui gisent au fond de l’eau. Mon genou saigne, je suis trempée, il pleut, j’ai froid, mes provisions pour le lendemain sont imbibées et le vent m’envoie mes cheveux lourds de l’eau de la rivière dans les yeux, la bouche, et le nez. Je les noue fébrilement à l’arrière de mon crâne à l’aide d’un élastique humide.
« Zut ! »
Je grelotte, et mes lèvres ont bleui. Mais je m’obstine. Et je continue, encore et toujours.
Je prends alors un caillou et le fait rouler dans ma paume. L’effet est presque immédiat. Je me calme. Lentement. Mais encore mes genoux s’entrechoquent à en faire verdir un pic-vert armé de castagnettes. Un nuage cache le soleil, donnant à l’atmosphère une teinte bleu-gris plutôt obscure, et pas rassurante du tout.
Je me frotte les yeux pour reprendre une once de contenance. Allez! On avance! Un peu de courage, que diable! Je titube en me retenant aux troncs des arbres. L’écorce m’écorche le bout des doigts. Je suis exténuée. Tout avait pourtant si bien commencé…
Je trébuche et sanglote. Ma cheville est tordue en un angle bizarre et me fait atrocement souffrir. Je me relève prudemment. J’essaye de marcher, mais la tâche est devenue trop douloureuse. Tans pis. J’irai à cloche pied! Mais j’irai. Tout plutôt que m’arrêter. J’avance. Encore. Même s’il faut ramper. Je n’abandonnerai pas. J’irai. Coûte que coûte. Continuer. Sans relâche. Toujours.
Ma vision se trouble, mais je l’ignore. Sur ma gauche me parvient un grognement détestable. Un grognement d’ours. J’ai peur. Le danger est proche.
Mais l’espoir me revient. Je ne suis plus très loin. Je reconnais l’arbre qui me sert de point de repère. C’est celui dont la branche la plus basse est presque au niveau du sol. Réjouie, je progresse encore difficilement sur les quelques derniers mètres, et…
La voilà! La tombe de ma mère! J’y suis arrivée!
Je viens la voir tous les deux mois. Elle à été dévorée par un ours, à cet endroit précis.
Aujourd’hui, je ne suis pas seule. Quelqu’un d’autre est déjà présent sur les lieux. « CA » a de longues dents meurtrières, des griffes impitoyables, des yeux enragés et une taille immense. C’est un ours. Un très gros ours. Je hurle, et il se déchaîne. Libération, enfin !
Je suis fatiguée. Si fatiguée…
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